**** *creator_marivaux *book_marivaux _acteursdebonnefoi *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux _prose_comedy_acteursdebonnefoi *dist2_marivaux _prose_comedy *id_ARAMINTE *date_1748 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_araminte Eh bien, ma chère ! Où en est notre comédie ? Va-t-on la jouer ? Comment ! Elle s'oppose à ce qu'on la joue ? Il sera curieux de la voir monter sur le théâtre ! Quant à moi, je ne suis bonne qu'à me tenir dans ma loge. Votre neveu est, en effet, un si grand parti pour elle... Oh ! D'après nature. Cela sera plaisant, mais il n'y a que mon rôle qui m'embarrasse : à quoi puis-je vous être bonne ? Oui. La réponse est flatteuse. Pourquoi non, Éraste ? Cela me paraîtrait assez convenable ; qu'en dites-vous ? Il ne répond pourtant rien. Et vous aurez la bonté de n'épouser que moi non plus, assurément. Impossible, Éraste, impossible ! Oh ! Puisque vous le prenez sur ce ton-là, vous m'aimerez, s'il vous plaît. Vous m'aimerez, vous dis-je ; on m'a promis votre coeur, et je prétends qu'on me le tienne ; je crois que d'en donner deux cent mille écus, c'est le payer tout ce qu'il vaut, et qu'il y en a peu de ce prix-là. Comment donc : vous désespérer ? Que voulez-vous ? Je suis à marier aussi bien qu'Angélique. Je ne présume pas, quoi que l'on fasse, que Madame veuille rompre l'engagement qu'elle a pris avec moi ; la comédie se jouera quand on voudra, mais Éraste m'épousera, s'il vous plaît. C'est celui d'Éraste et le mien. Tenez ferme, je ne plierai point non plus. Vous ne m'aimerez jamais tant que vous m'avez haïe ; mais mes quarante ans me restent sur le coeur ; je n'en ai pourtant que trente-neuf et demi. **** *creator_marivaux *book_marivaux _acteursdebonnefoi *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux _prose_comedy_acteursdebonnefoi *dist2_marivaux _prose_comedy *id_ERASTE *date_1748 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_eraste Tu feras grand plaisir à Madame Amelin, qui s'y attend avec impatience ; et de mon côté, je suis ravi de lui procurer ce petit divertissement : je lui dois bien des attentions ; tu vois ce qu'elle fait pour moi ; je ne suis que son neveu, et elle me donne tout son bien pour me marier avec Angélique, que j'aime. Pourrait-elle me traiter mieux, quand je serais son fils ? Mais, dis-moi, cette comédie dont tu nous régales, est-elle divertissante ? Tu as de l'esprit, mais en as-tu assez pour avoir fait quelque chose de passable ? Ton génie me fait trembler. D'anacréontiques ! Oh ! Puisque tu connais ce mot-là, tu es habile, et je ne me méfie plus de toi. Mais prends garde que Madame Argante ne sache notre projet ; Madame Amelin veut la surprendre. Et qui sont tes acteurs ? Cela promet de quoi rire. Dis-moi donc ce que c'est. Que veux-tu dire : à l'impromptu ? La plaisante espèce de comédie ! Elle pourra pourtant nous amuser. Adieu ; fais-nous rire, on ne t'en demande pas davantage. Madame, il est question d'une bagatelle que vous saurez tantôt. Puisqu'il faut vous le dire, c'est une petite pièce dont il est question. C'est la chose du monde la plus innocente, Madame, et d'ailleurs Madame Amelin se faisait une joie de la voir exécuter. Sur-le-champ, Madame. Vous m'avez ordonné de revenir ; que me voulez-vous, Madame ? La compagnie vous attend. Vous me paraissez bien sérieuse, Madame, de quoi s'agit-il ? Moi ? Ce que tout le monde en pense ; que Madame est fort aimable. Elle est toute simple. Y a-t-il quelqu'un à qui il soit besoin de persuader cette vérité-là ? À propos de quoi en êtes-vous si charmée, Madame ? Moi, ma tante ? Vous plaisantez, et je suis sûr que Madame ne serait pas de cet avis-là. De m'épouser ! Vous, Madame ! Madame... On n'épouse pas deux femmes. Vous méritez un coeur tout entier, Madame ; et vous savez que j'adore Angélique, qu'il m'est impossible d'aimer ailleurs. Je ne m'y attends pas, Madame. Angélique l'estimerait davantage. Ah ! Madame, voulez-vous me désespérer ? Juste ciel ! Vous voyez mon trouble ; je ne sais plus où j'en suis. Moi, vous trahir, Angélique ! Moi, qui ne vis que pour vous ! Souffrez qu'on la joue, Madame ; voulez-vous qu'une comédie décide de mon sort, et que ma vie dépende de deux ou trois dialogues ? Eh ! À quoi pensez-vous, Madame ? Je mourrais moi-même plutôt que de signer. Qu'entends-je ? Ah ! Je respire. **** *creator_marivaux *book_marivaux _acteursdebonnefoi *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux _prose_comedy_acteursdebonnefoi *dist2_marivaux _prose_comedy *id_ANGELIQUE *date_1748 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_angelique Et moi, j'avais promis à Madame Amelin et à Éraste de ne vous en point parler, ma mère. Madame Amelin n'est pas contente, ma mère. Éraste y consent-il ? Est-ce là tout ce que vous répondez ? Emmenez-moi, ma mère, retirons-nous ; tout nous trahit. Laissons-les, ma mère ; voilà tout ce qu'il nous reste. Qui l'aurait cru ? Il n'y a plus qu'à rire. **** *creator_marivaux *book_marivaux _acteursdebonnefoi *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux _prose_comedy_acteursdebonnefoi *dist2_marivaux _prose_comedy *id_MERLIN *date_1748 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_merlin Oui, Monsieur, tout sera prêt ; vous n'avez qu'à faire mettre la salle en état ; à trois heures après midi, je vous garantis que je vous donnerai la comédie. Allons, il en faut convenir, c'est la meilleure de toutes les tantes du monde, et vous avez raison ; il n'y aurait pas plus de profit à l'avoir pour mère. Du passable, Monsieur ? Non, il n'est pas de mon ressort ; les génies comme le mien ne connaissent pas le médiocre ; tout ce qu'ils font est charmant ou détestable ; j'excelle ou je tombe, il n'y a jamais de milieu. Vous craignez que je ne tombe ? Mais rassurez-vous. Avez-vous jamais acheté le recueil des chansons du Pont-Neuf ? Tout ce que vous y trouverez de beau est de moi. Il y en a surtout une demi-douzaine d'anacréontiques, qui sont d'un goût... Lisette, qui est des nôtres, a sans doute gardé le secret. Mademoiselle Angélique, votre future, n'aura rien dit. De votre côté, vous vous êtes tu. J'ai été discret. Mes acteurs sont payés pour se taire ; et nous surprendrons, Monsieur, nous surprendrons. Moi, d'abord ; je me nomme le premier, pour vous inspirer de la confiance ; ensuite, Lisette, femme de chambre de Mademoiselle Angélique, et suivante originale ; Blaise, fils du fermier de Madame Argante ; Colette, amante dudit fils du fermier, et fille du jardinier. Et cela tiendra parole ; j'y ai mis bon ordre. Si vous saviez le coup d'art qu'il y a dans ma pièce ! Nous jouerons à l'impromptu, Monsieur, à l'impromptu. Oui. Je n'ai fourni que ce que nous autres beaux esprits appelons le canevas ; la simple nature fournira les dialogues, et cette nature-là sera bouffonne. Vous verrez, vous verrez. J'oublie encore à vous dire une finesse de ma pièce ; c'est que Colette qui doit faire mon amoureuse, et moi qui dois faire son amant, nous sommes convenus tous deux de voir un peu la mine que feront Lisette et Blaise à toutes les tendresses naïves que nous prétendons nous dire ; et le tout, pour éprouver s'ils n'en seront pas un peu alarmés et jaloux ; car vous savez que Blaise doit épouser Colette, et que l'amour nous destine, Lisette et moi, l'un à l'autre. Mais Lisette, Blaise et Colette vont venir ici pour essayer leurs scènes ; ce sont les principaux acteurs. J'ai voulu voir comment ils s'y prendront ; laissez-moi les écouter et les instruire, et retirez-vous : les voilà qui entrent. Allons, mes enfants, je vous attendais ; montrez-moi un petit échantillon de votre savoir-faire, et tâchons de gagner notre argent le mieux que nous pourrons ; répétons. De très jolis propos ; car, dans le plan de ma pièce, vous ne sortez point de votre caractère, vous autres : toi, tu joues une maligne soubrette à qui l'on n'en fait point accroire, et te voilà ; Blaise a l'air d'un nigaud pris sans vert, et il en fait le rôle ; une petite coquette de village et Colette, c'est la même chose ; un joli homme et moi, c'est tout un. Un joli homme est inconstant, une coquette n'est pas fidèle : Colette trahit Blaise, je néglige ta flamme. Blaise est un sot qui en pleure, tu es une diablesse qui t'en mets en fureur ; et voilà ma pièce. Oh ! Je défie qu'on arrange mieux les choses. À merveille ! Blaise, je te demande ce ton de nigaud-là dans la pièce. Fort bien, Lisette ! Il y a un aigre-doux dans ce ton-là qu'il faut conserver. Courage, friponne ; vous y êtes, c'est dans ce goût-là qu'il faut jouer votre rôle. Allons, commençons à répéter. Oui, nous sommes la première scène ; asseyez-vous là, vous autres ; et nous, débutons. Tu es au fait, Lisette. Tu arrives sur le théâtre, et tu me trouves rêveur et distrait. Recule-toi un peu, pour me laisser prendre ma contenance. C'est que je me promène. C'est que je suis distrait dans mes promenades. Doucement, Lisette, tu me dis des injures au commencement de la scène, par où la finiras-tu ? Où en sommes-nous ? Tiens, tu es de méchante humeur ; passons notre chemin, ne nous parlons pas davantage. Cette question-là nous présage une querelle. Je me contente de savoir que j'en suis où me voilà. Vous êtes si savante qu'il n'y a pas moyen de vous instruire. Je n'aime à contredire personne. Pourquoi veux-tu qu'elle me déplaise ? Je ne fais jamais de confidence. Ne m'en demande donc pas. Je ne te quitte pas, je ne bouge. Sans doute, ne voyez-pas bien que c'est une fille jalouse qui vous méprise ? Tu me querellais. Comme tu n'es qu'une suivante, un coup de poing ne gâtera rien. Non, non, gardons le coup de poing pour la représentation, et supposons qu'il est donné ; ce serait un double emploi, qui est inutile. Sans difficulté ; n'y manque pas, mon mérite et ta vanité le veulent. Ne perdons point le temps à nous interrompre ; va-t'en, Lisette : voici Colette qui entre pendant que tu sors, et tu n'as plus que faire ici. Allons, poursuivons ; reculez-vous un peu, Colette, afin que j'aille au-devant de vous. Bonjour, ma belle enfant : je suis bien sûr que ce n'est pas moi que vous cherchez. Et moi, je suis charmé de vous rencontrer, Colette. Ne vous êtes-vous pas aperçu du plaisir que j'ai à vous voir ? Doucement, Colette ; il n'est pas décent de vous déclarer si vite. Attendez que je me déclare tout à fait, moi. C'est qu'elle ne sait pas mieux faire. Éloignez-vous donc pour l'encourager. Blaise et toi, vous êtes de grands innocents tous deux ; ne voyez-vous pas qu'elle s'explique mal ? Ce n'est pas qu'elle m'aime tout de bon ; elle veut dire seulement qu'elle doit faire semblant de m'aimer ; n'est-ce pas, Colette ? Allons, continuons, et attendez que je me déclare tout à fait, pour vous montrer sensible à mon amour. Que vous êtes aimable, Colette, et que j'envie le sort de Blaise, qui doit être votre mari ! Il y a plus de huit jours que je cherche à vous le dire. Et pourquoi, Colette ? Sans doute. Quoi ! Chère Colette, votre coeur vous dit quelque chose pour moi ? Que vous me charmez, bel enfant ! Donnez-moi votre jolie main, que je vous en remercie. Entre amants, les mains d'une maîtresse sont toujours de la conversation. Ne vous fâchez pas, il n'y a qu'à supprimer cet endroit-là. Je me contenterai de lui tenir la main de la mienne. Il n'y aura point assez de vif dans cette scène-là. Puisqu'on les trouve de trop, laissons-les, et revenons. Vous m'aimez donc, Colette, et cependant vous allez épouser Blaise ? Tais-toi donc, tout ceci est de la scène, tu le sais bien. Non, te dis-je ; il faut ou quitter notre projet ou le suivre ; la récompense que Madame Amelin nous a promise vaut bien la peine que nous la gagnions ; je suis fâché d'avoir imaginé ce plan-là, mais je n'ai pas le temps d'en imaginer un autre ; poursuivons. Vous ne vous souciez donc pas de Blaise, Colette, puisqu'il n'y a que vos parents qui veulent que vous l'épousiez ? Paix donc ! Vous n'avez qu'à dire à vos parents que vous ne l'aimez pas. J'en serais ravi ; mais il faut s'y prendre adroitement, à cause de Lisette, dont la méchanceté nous nuirait et romprait nos mesures. Tu n'y seras pas, il est vrai ; mais tu es actuellement devant ses yeux, et par méprise elle se règle là-dessus. N'as-tu jamais entendu parler d'un axiome qui dit que l'objet présent émeut la puissance ? Voilà pourquoi elle s'y trompe ; si tu avais étudié, cela ne t'étonnerait pas. À toi, à présent, Blaise ; c'est toi qui entres ici, et qui viens nous interrompre ; retire-toi à quatre pas, pour feindre que tu arrives ; moi, qui t'aperçois venir, je dis à Colette : « Voici Blaise qui arrive, ma chère Colette ; remettons l'entretien à une autre fois. » Et retirez-vous. Tu rencontres Colette sur ton chemin, et tu lui demandes d'avec qui elle sort. C'est, à cette heure, à moi à qui tu as affaire. "Tenez, Monsieur Merlin !"Est-ce comme cela qu'on commence une scène ? Dans mes instructions, je t'ai dit de me demander quel était mon entretien avec Colette. Souviens-toi donc que tu n'étais pas censé y être. Oui, nous ne faisions que de nous rencontrer. N'importe ; cette erreur-là n'est ici d'aucune conséquence. Qui est-ce qui t'a dit, Blaise, que j'aime Colette ? Mais prends donc garde ; souviens-toi encore une fois que tu n'y étais pas. Nous ne ferons jamais rien de cette grue-là : il ne saurait perdre les objets de vue. Adieu ma comédie ; on m'avait promis dix pistoles pour la faire jouer, et ce poltron-là me les vole comme s'il me les prenait dans ma poche. Mais, mes enfants, gagnons d'abord notre argent, et puis nous finirons nos débats. Paix-là donc, paix ! Le bruit que vous faites va amasser tout le monde ici, et voilà déjà Madame Argante qui accourt, je pense. L'épithète de folle m'acquittera, s'il te plaît, de celle de fourbe. Oui, Colette, et cela va à merveille ; ces gens-là nous aiment, mais continuons encore de feindre. Rien, c'est Blaise et Colette qui sortent d'ici avec Lisette, Madame. C'est qu'il s'agissait d'un petit dessein que... nous avions, d'une petite idée qui nous était venue, et nous avons de la peine à faire un ensemble qui s'accorde. Monsieur vous dira ce que c'est. C'est, Madame, une comédie, et nous vous ménagions le plaisir de la surprise. Oui, une comédie dont je suis l'auteur ; cela promet. On ne s'y bat pas, Madame ; la bataille que vous avez entendue n'était qu'un entracte ; mes acteurs se sont brouillés dans l'intervalle de l'action ; c'est la discorde qui est entrée dans la troupe ; il n'y a rien là que de fort ordinaire. Ils voulaient sauter du brodequin au cothurne, et je vais tâcher de les ramener à des dispositions moins tragiques. C'est elle qui nous paye pour la mettre en état ; et moi, qui vous parle, j'ai déjà reçu des arrhes ; ma marchandise est vendue, il faut que je la livre ; et vous ne sauriez, en conscience, rompre un marché conclu, Madame. Il faudrait que je restituasse, et j'ai pris des arrangements qui ne me le permettent plus. Sans compter douze sous qu'il m'en coûte pour un moucheur de chandelles que j'ai arrêté ; trois bouteilles de vin que j'ai avancées aux ménétriers du village pour former mon orchestre ; quatre que j'ai donné parole de boire avec eux immédiatement après la représentation ; une demi-main de papier que j'ai barbouillée pour mettre mon canevas bien au net... J'en serai donc réduit à l'impression, quel dommage ! J'ai rassemblé tous nos acteurs ; ils sont là, et nous allons achever de la répéter, si l'on veut. Avance, Blaise ; reprenons où nous en étions. Tu te plaignais de ce que j'aime Colette ; et c'est, dis-tu, Lisette qui te l'a appris ? Allons, Blaise, tu me reproches que j'aime Colette ? Que veux-tu, mon enfant ? Elle est si jolie, que je n'ai pu m'en empêcher. Encore ! Ma foi, veux-tu que je te dise ? Nous nous régalions nous-mêmes dans ma parade pour jouir de toutes vos tendresses. Oh ! Je me fâcherai aussi, moi. **** *creator_marivaux *book_marivaux _acteursdebonnefoi *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux _prose_comedy_acteursdebonnefoi *dist2_marivaux _prose_comedy *id_LISETTE *date_1748 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_lisette Ce que j'aime de ta comédie, c'est que nous nous la donnerons à nous-mêmes ; car je pense que nous allons tenir de jolis propos. Écoutez, Monsieur le joli homme, il a raison ; que ceci ne passe point la raillerie ; car je ne suis pas endurante, je vous en avertis. C'est à nous deux à commencer, je crois. Qu'avez-vous donc, Monsieur Merlin ? Vous voilà bien pensif. Et votre façon, en vous promenant, est-elle de ne pas regarder les gens qui vous abordent ? Qu'est-ce que c'est que ce langage-là ? Il me paraît bien impertinent. Oh ! Ne t'attends pas à des régularités, je dis ce qui me vient ; continuons. Je traitais ton langage d'impertinent. Attendez-vous ici Colette, Monsieur Merlin ? Tu n'en es pas encore où tu penses. Je sais bien que tu me fuis, et que je t'ennuie depuis quelques jours. Comment, faquin ! Tu ne prends pas seulement la peine de te défendre de ce que je dis là ? Viens ça, parle ; avoue-moi que Colette te plaît. Avoue que tu l'aimes. Va, va, je n'ai pas besoin que tu me la fasses. Me quitter pour une petite villageoise ! Et moi, je ne sais plus où j'en suis. Eh ! Dis-moi, dans cette scène-là, puis-je te battre ? Reprenons donc, afin que je le place. Je crois aussi que je peux pleurer dans mon chagrin. Ton mérite, qui le veut, me fait rire. Que je suis à plaindre d'avoir été sensible aux cajoleries de ce fourbe-là ! Adieu : voici la petite impertinente qui entre ; mais laisse-moi faire. Serait-il si mal de la battre un peu ? Voyez-vous la fine mouche ! Je n'aime pas trop cette saillie-là, non plus. Il est vrai, m'amie, que vous êtes plaisante de vouloir que nous nous en allions. Comment ! Vous aimez réellement Merlin ! Je défends les mains. Oui, mais il n'est pas nécessaire qu'il les baise. C'est le mieux. Je ne dis mot, mais je n'en pense pas moins. Quoi qu'il en soit, allons notre chemin, pour ne pas risquer notre argent. Que signifie donc ce que j'entends là ? Car, enfin, voilà un discours qui ne peut entrer dans la représentation de votre scène, puisque je ne serai pas présente quand vous la jouerez. Va, va, j'en dirai mon sentiment après la comédie. Continuez ; continuez ; dans la représentation il ne les verra pas, et cela le corrigera ; quand un homme perd sa maîtresse, il lui est permis d'être distrait, Monsieur Merlin. Tu te tais donc, fourbe ! Tiens, voilà le cas que je fais du plan de ta comédie, tu mériterais d'être traité de même. Taisez-vous, petite impertinente. Que cette petite paysanne-là ne m'échauffe pas les oreilles ! Adieu, fourbe. À quoi sert tout ce que vous faites là, Madame ? Quand on achèverait cette scène-ci, vous n'avez pas l'autre ; car c'est moi qui dois la jouer, et je n'en ferai rien. Ah ! Nous verrons si on me fera jouer la comédie malgré moi. Vous voilà raccommodés ; mais nous... Pour moi, je t'aime toujours ; mais tu me le paieras, car je ne t'épouserai de six mois. **** *creator_marivaux *book_marivaux _acteursdebonnefoi *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux _prose_comedy_acteursdebonnefoi *dist2_marivaux _prose_comedy *id_BLAISE *date_1748 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_blaise Oui, mais si ce que j'allons jouer allait être vrai, prenez garde, au moins, il ne faut pas du tout de bon ; car j'aime Colette, dame ! Voyez en effet comme alle se presse : an dirait qu'alle y va de bon jeu, je crois que ça m'annonce du guignon. Non, morguié, je ne veux pas qu'alle ait du courage, moi ; je veux tout entendre. Pourquoi te hâtes-tu tant d'être amoureuse de Monsieur Merlin ? Est-ce que tu en sens de l'amour ? Ne permettez pas qu'elles en soient, Mademoiselle Lisette. Ne faut pas magnier non plus ; n'est-ce pas, Mademoiselle Lisette ? Me velà donc bien chanceux ! C'est que je vais gager que ça est vrai. Morgué ! Velà une vilaine comédie ! C'est la vérité qu'alle me l'a dit. Je suis tout parturbé, moi, je ne sais que dire. D'où viens-tu donc, Colette ? Comme tu me rudoies ! Tenez, Monsieur Merlin, je ne saurions endurer que vous m'escamotiais ma maîtresse. Eh ! Parguié ! Ne le sais-je pas, pisque j'y étais ? Eh bian ! Colette était donc avec vous, Monsieur Merlin ? On dit pourtant qu'vous en êtes amoureux, Monsieur Merlin, et ça me chagrine, entendez-vous ? Car elle sera mon accordée de mardi en huit. C'est vous qui le disiais tout à l'heure. C'est donc Mademoiselle Lisette qui me l'a appris, et qui vous donne aussi biaucoup de blâme de cette affaire-là ? Et la velà pour confirmer mon dire. Cette comédie-là n'est faite que pour nous planter là, Mademoiselle Lisette. Morguié ! Ce n'est pas comme ça qu'on en use avec un fiancé de la semaine qui vient. Velà de belles fiançailles ! Je m'en vais itou me plaindre à un parent de la masque. Bon ! Qu'est-ce que vous voulez que je dise davantage ? Non ; noute mère m'a défendu de monter sur le thiâtre. Et au par-dessus, on se raille de ma parsonne dans ce peste de jeu-là, noute maîtresse ; Colette y fait semblant d'avoir le coeur tendre pour Monsieur Merlin, Monsieur Merlin de li céder le sien ; et maugré la comédie, tout ça est vrai, noute maîtresse ; car ils font semblant de faire semblant, rien que pour nous en revendre, et ils ont tous deux la malice de s'aimer tout de bon en dépit de Lisette qui n'en tâtera que d'une dent, et en dépit de moi qui sis pourtant retenu pour gendre de mon biau-père. Eh ! Morguié, est-ce que ça n'est pas vrai ? Eh bian ! Madame Argante, velà-t-il pas qu'il le confesse li-même ? Je m'embarrasse, morguié ! Bian de la farce ; qu'alle aille au guiable, et tout le monde avec ! Eh ! Pardi ! Faut bian braire, quand on en a sujet. Tout de bon ? Baille-moi donc une petite franchise pour ma peine. **** *creator_marivaux *book_marivaux _acteursdebonnefoi *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux _prose_comedy_acteursdebonnefoi *dist2_marivaux _prose_comedy *id_COLETTE *date_1748 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_colette Allez, allez, Mademoiselle Lisette ; il n'y a rien à appriander pour vous ; car vous êtes plus jolie que moi ; Monsieur Merlin le sait bien. Oui, mais est-ce du jeu de me dire des injures en mon absence ? Eh bien ! Quand ce sera à moi à dire, je prendrai ma revanche. Non pas, s'il vous plaît ; je ne veux pas que les coups en soient ; je n'ai point affaire d'être battue pour une farce : encore si c'était vrai, je l'endurerais. Non, Monsieur Merlin ; mais ça n'y fait rien ; je suis bien aise de vous y trouver. Ça est bien obligeant. Oui, mais je n'ose pas bonnement m'apercevoir de ce plaisir-là, à cause que j'y en prendrais aussi. Dame ! Comme il faut avoir d'l'amiquié pour vous dans cette affaire-là, j'ai cru qu'il n'y avait point de temps à perdre. Eh bien ! Velà ma pensée tout sens dessus dessous ; pisqu'ils me blâmont, je sis trop timide pour aller en avant, s'ils ne s'en vont pas. Pourquoi aussi me chicanez-vous ? Mais, vrament ! Je sis bien obligée d'en sentir pisque je sis obligée d'en prendre dans la comédie. Comment voulez-vous que je fasse autrement ? Il faut bien, pisque c'est mon devoir. Comme vous voudrez, Monsieur Merlin. J'attendrai, Monsieur Merlin ; faites vite. Oh ! Oh ! Est-ce que vous m'aimez, Monsieur Merlin ? Queu dommage ! Car je nous accorderions bien tous deux. C'est que si vous m'aimez, dame !... Dirai-je ? C'est que, si vous m'aimez, c'est bian fait ; car il n'y a rian de pardu. Oh ! Il ne me dit pas queuque chose, il me dit tout à fait. Faut pourtant que j'en aie. Ce n'est que des mains, au bout du compte. Je sis de votre avis, Monsieur Merlin, et je n'empêche pas les mains, moi. Vraiment ça me fâche assez ; car ce n'est pas moi qui le prends ; c'est mon père et ma mère qui me le baillent. Je le trouve bien joli, moi. Non, il ne me revient point ; et si je pouvais, par queuque manigance, m'empêcher de l'avoir pour mon homme, je serais bientôt quitte de li ; car il est si sot ! Bon ! Je li ai bien dit à li-même, et tout ça n'y fait rien. Mais, Monsieur Merlin, si vous me demandiais en mariage, peut-être que vous m'auriais ? Seriais-vous fâché de m'avoir pour femme ? Si alle n'était pas ici, je varrions comme nous y prenre ; fallait pas parmettre qu'alle nous écoutît. Eh ! Je viens d'où j'étais. Oh ! Dame ! Accommode-toi ; prends ou laisse. Adieu. Oh ! Sans vous interrompre, ça est remis de mardi en quinze, et d'ici à ce temps-là, je varrons venir. Eh bien ! Plante-moi là itou, toi, Nicodème ! Et moi, je te dis que tu ne seras mon fiancé d'aucune semaine. Eh ! Pardi, Monsieur Merlin, velà bian du tintamarre, parce que vous avez de l'amiquié pour moi, et que je vous trouve agriable. Eh bian ! Oui, je lui plais ; je nous plaisons tous deux ; il est garçon, je sis fille ; il est à marier, moi itou ; il voulait de Mademoiselle Lisette, il n'en veut pus ; il la quitte, je te quitte ; il me prend, je le prends. Quant à ce qui est de vous autres, il n'y a que patience à prendre. C'est bian dit ; je nous querellerons après, c'est la même chose. Cette jalouse, comme elle est malapprise ! Suis-je cause que je vaux mieux qu'elle ? Mais, voyez, je vous prie, cette glorieuse, avec sa face de chambrière ! Je nous varrons tantôt, Monsieur Merlin, n'est-ce pas ? Tant que vous voudrais ; il n'y a pas de danger, pisqu'ils nous aimont tant. Oui, mais je ne veux pas qu'il me laisse, moi ; je veux qu'il me garde. Il braira tant qu'on voudra ; mais c'est là tout. Blaise, la tienne est de bon acabit ; j'en suis bien contente.